Les faits : F. tue son ami M. avec un fusil à canon scié. Il lui a tiré dans la tête, à bout portant. F. se nettoie les mains et son téléphone avec de l’eau de javel, et remet le fusil dans le placard, le recouvrant un peu avec un vêtement mais pas suffisamment pour qu’il soit caché. Il sort de son studio (car c’est chez lui qu’il a tué son ami) et se rend au commissariat, situé à 3 minutes de là. Mais entre le moment du crime et la rencontre avec la police, il se passe 1h30. Qu’a-t-il fait pendant tout ce temps ? Ce qu’on sait, c’est l’appel de 16 minutes qu’il a passé à sa compagne sur le trajet, il lui dit de refaire sa vie car il sait qu’il ira en prison. L’appel dure 16 minutes. Les faits remontent à 2017, depuis F. est en prison et ce mardi 3 septembre 2019, c’est le début de son procès qui durera 2 jours, dans la cour d’assises de Bobigny.
F. parle d’un accident, il n’a pas voulu tuer son ami. Les deux hommes s’étaient rencontrés en prison et s’étaient liés d’amitié. En sortant de prison, M. (la victime, aujourd’hui décédée) avait évolué vers une vie plus rangée. Seule ombre noire sur le tableau, sa consommation régulière de Cannabis. Peut-être était-ce là ce qui le rapprochait encore de F., qui est connu par les services de police pour détention de produits stupéfiants.
Le premier jour du procès, F., cheveux attachés en chignon, typé maghrébin, est habillé en noir. On évoque son enfance, sa personnalité.
F. est né en 1986, son père, alcoolique, rentrait régulièrement ivre, puis celui-ci a refait sa vie avec une autre femme. Le petit a donc été élevé par sa mère, aimante et gentille , qui n’hésitait pas à s’opposer à son fils lorsqu’elle n’était pas d’accord avec son comportement. Si le grand frère de F. s’est inséré professionnellement et socialement, F. lui est sorti des sentiers battus à l’adolescence.
Durant tout le procès, F. soutiendra la thèse de l’ accident. Ok, il a tiré sur M. , mais ce n’était pas voulu, il ne savait pas que son arme était chargée, il a juste voulu montrer ce que « ça faisait » d’être braqué par une arme. Des amis de F. confirment que celui-ci avait tendance à pointer son arme vers eux, comme un jeu.
Le deuxième jour, les parties civiles se succèdent à la barre. C’est la famille de la victime ; les frères et sœurs, les parents et l’ex-compagne. En face, F. est habillé d’une chemise blanche.
_Je veux savoir ce qui s’est réellement passé ! Dit la petite sœur de la victime . Ça ne peut pas être qu’un accident, pour moi ce n’est pas normal d’avoir une arme chez soi…je veux qu’il raconte ce qu’il s’est vraiment passé !
_Toutes mes condoléances, mais je le répète c’était un accident, c’était mon ami, pourquoi j’aurais chercher à le tuer ? Comme on dit, faut pas pousser mémé dans les orties, dit l’accusé à la jeune femme.
On évoque la vie de M., la victime. Décrit comme un homme sympathique, fils aîné de sa fratrie dont il prenait soin. Il fait de la prison pour une histoire de drogue mais prend une direction plus sage à sa sortie. Après une altercation avec ses parents, il quitte Paris pour Angers où il rencontre la mère de sa fille. La maman est très occupée par son travail et c’est donc M. qui s’occupe de la petite du matin au soir. Leur lien est très fort. Le témoigne de l’ex-compagne (car ils s’étaient séparés de son vivant) est poignant.
_Ma fille n’a que 5 ans mais elle comprend déjà beaucoup de choses. Elle me parle tous les jours de son père, moi je n’ai pas pu lui dire la vérité, qu’il a été tué, je lui ai dit qu’il était mort dans un accident de voiture. Elle est très frustrée parce que toutes les autres petites filles de son âge jouent avec leur papa, et elle non. Elle s’isole de plus en plus souvent dans sa chambre pour parler avec son père qui est au ciel.
À plusieurs reprises F. présente ses condoléances à la famille.
C’est l’heure de la plaidoirie de la Partie Civile.
Cela fait 2 ans que l’avocat, Me Rominger, travaille sur le dossier. »il a pris le fusil, l’a pointé vers son » ami », et il a tiré…on ne peut pas qualifier cette succession de gestes comme un accident! » . Et mettre 1h30 de chez lui jusqu’au commissariat qui était à 3 minutes…qui sait s’il n’a pas nettoyé une partie de la scène de crime, s’il n’a pas caché des éléments ?
La procureure, dans ses réquisitions, parle d’une » escalade dans la violence » dans le parcours de F. C’est un homme dangereux au casier judiciaire chargé d’actes de plus en plus graves, et ça se solde d’un mort…Pointer une arme vers quelqu’un, c’est de la violence, sans parler de la peur qu’a pu ressentir la victime. Si c’était un accident, ce n’était pas exempt d’une volonté de domination et de puissance. Elle requiert 20 ans de prison plus l’interdiction pendant 5 ans de détenir des armes nécessitant une autorisation spéciale.
Apres la pause, c’est au tour de l’avocat de la Défense. Me Ait Hocine Kamel, de s’exprimer. Il se doit d’éclairer les zones d’ombre qui pourraient être à charge. Déjà, se laver les mains et le téléphone à l’eau de javel après l’accident, l’expert l’a dit, c’était un « réflexe instinctif » qui succède à un choc subi. F. n’a pas touché au corps et n’a pas cherché à cacher l’arme, donc il n’avait pas une intention criminelle. En plus il s’est rendu lui-même à la police. Pourquoi aurait-il voulu tuer son ami ? Il n’y avait aucune animosité entre eux ! C’était un accident. Et comment peut-on être sûr qu’il y avait de la violence ? Peut-être que les deux hommes rigolaient, ils avaient bu, la victime n’a peut-être pas eu peur avant de mourir. « je n’y étais pas, vous n’y étiez pas » répète à plusieurs reprises l’avocat, comme un refrain.
Suite à la plaidoirie finale, la cour s’absente quelques heures pour délibérer.
Verdict : 9 ans de prison.
F. a déjà purgé 2 ans. Avec les aménagements et remise de peine, il peut espérer sortir dans 1 an et demi.